Neil Gaiman : Pourquoi notre futur dépend-il des bibliothèques, de
la lecture et de la rêverie ?
Traduction par mes soins de cet article publié en octobre 2013
Introduction
Il est important pour les gens de
vous dire de quel côté ils se placent et pourquoi, et s’ils peuvent être
biaisés. Une déclaration d’intérêt en quelque sorte. Je vais vous parler de
lecture. Je vais vous dire que les bibliothèques sont importantes. Je vais vous
suggérer que lire de la fiction, lire pour le plaisir, est une des choses les
plus importantes que l’on puisse faire. Je vais faire un fervent plaidoyer pour
que les gens comprennent que les bibliothèques et les bibliothécaires sont
importants et qu’il faut les préserver tous les deux.
Et je suis évidemment et
énormément partial : je suis écrivain, souvent écrivain de fiction.
J’écris pour les enfants et pour les adultes. Pendant environ 30 ans, j’ai
gagné ma vie à travers mes mots, principalement en inventant des choses et en
les couchant sur le papier. C’est bien sûr dans mon intérêt que les gens
lisent, qu’ils lisent de la fiction, que les bibliothèques et les
bibliothécaires existent et aident à promouvoir l’amour de la lecture et les
endroits où lire est possible.
Je suis partial en tant
qu’auteur. Mais je suis bien plus partial en tant que lecteur. Et encore bien
plus en tant que citoyen britannique.
Et je suis ici ce soir, parlant
sous les auspices de la Reading Agency : une œuvre de charité qui a pour
mission de donner à chacun une égalité des chances dans la vie en aidant les
gens à devenir des lecteurs confiants et enthousiastes. Cette charité soutient
les programmes d’alphabétisation ainsi que les librairies et les individus et
encourage purement et simplement la lecture parce que, nous disent-ils, tout
change quand on lit.
Et c’est à propos de ce
changement et de cette activité qu’est la lecture dont je suis venu vous parler
ce soir. Je veux vous parler de ce que procure la lecture. En quoi c’est bon.
L'utilité de la fiction
Un jour que j’étais à New-York,
j’ai entendu une discussion à propos de la construction de prisons privées –
une énorme industrie florissante aux Etats-Unis. L’industrie pénitentiaire a
besoin de planifier sa future expansion : de combien de cellules
auront-ils besoin ? Combien y aura-t-il de prisonniers dans 15 ans ?
Ils pensaient que ce serait très facile à prédire grâce à un simple algorithme,
conçu sur le pourcentage du nombre d’enfants de 10-11 ans qui ne savent pas
lire. Et qui ne liront certainement pas pour le plaisir.
Ce n’est pas un entretien
particulier : on ne peut pas dire qu’une société lettrée ne connaît pas la
criminalité. Mais il y a de nombreuses corrélations.
Et je pense que certaines d’entre
elles, les plus simples, viennent de quelque chose de très simple aussi. Les
personnes lettrées lisent de la fiction.
La fiction a deux utilités. Tout
d’abord, c’est une porte ouverte à l’addiction de la lecture. La volonté de
savoir ce qu’il va arriver ensuite, l’envie de tourner la page, le besoin de
continuer, même si c’est difficile parce que quelqu’un est en mauvaise posture
et que l’on désire absolument savoir comment cela va se finir... C’est une
réelle volonté. Ça vous force à apprendre de nouveaux mots, à penser de
nouvelles choses, à continuer ; de découvrir qu’en soi, lire est agréable.
Une fois que l’on a compris cela, on est sur le point de pouvoir tout lire.
Lire est la clé. Il y a quelques années, des bruits ont couru comme quoi nous
vivrions dans un monde post-lettré, dans lequel la capacité de donner sens à
des mots écrits avait d’une certaine manière disparu, mais ces jours là sont
finis : les mots sont plus importants qu’ils ne l’ont jamais été :
nous naviguons à travers le monde par les mots et alors que le monde glisse
vers le web, nous devons suivre, communiquer et comprendre ce que nous lisons.
Les gens qui ne se comprennent pas ne peuvent pas échanger d’idées, ne peuvent pas
communiquer et les programmes de traductions s’arrêtent à un certain point.
La plus simple manière d’être
certain d’élever des enfants lettrés est de leur enseigner la lecture et de
leur montrer que la lecture est une activité agréable. Cela signifie, tout
simplement, trouver des livres qu’ils aiment, leur en donner l’accès et les
laisser les lire.
Les livres jeunesse
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Je ne crois pas qu’il existe une
telle chose qu’un mauvais livre pour enfants. De temps à autre, cela devient à
la mode parmi quelques adultes de pointer du doigt un sous-ensemble de livre
pour enfant, un genre, peut-être aussi un auteur, et de les décrire comme étant
mauvais, comme étant des livres qu’on devrait empêcher les enfants de lire.
J’ai vu cela arriver encore et encore. Enid Blyton a été décrit comme étant un
mauvais écrivain tout comme RL Stine et des douzaines d’autres. Les
bandes-dessinées ont été dénoncées comme
étant la promotion de l’illettrisme.
Ce sont des bêtises. C’est du
snobisme et de l’idiotie. Il n’y a pas de mauvais auteurs pour enfants mais seulement
des enfants qui aiment lire et qui veulent lire, qui cherchent à lire car
chaque enfant est différent. Ils peuvent trouver les histoires dont ils ont
besoin et ils vont eux-mêmes vers ces histoires. Une idée vue et revue n’est pas une idée vue
et revue pour eux. C’est la première fois qu’un enfant y est confronté. Ne
découragez pas les enfants de la lecture parce que vous pensez qu’ils ne lisent
pas la bonne chose. La fiction que vous n’aimez pas est un chemin vers d’autres
livres que vous pourriez aimer. Et tout le monde n’a pas les mêmes goûts que
vous.
Des adultes bien intentionnés
peuvent facilement détruire l’amour de la lecture d’un enfant : arrêtez de
leur lire les histoires qu’ils aiment ou donner leur des livres qui en valent
la peine mais ennuyeux que vous aimez. Vous finirez avec une génération
convaincue que lire ‘n’est pas cool’ et pire, désagréable.
Nous avons besoin de mettre nos
enfants sur une échelle de la lecture : tout ce qu’ils aiment lire les
fera monter, barreau par barreau, jusqu’au lettrisme. (Aussi, ne faites pas ce
que cet auteur a fait quand sa fille de onze ans adorait RL Stine : il est
allé chercher un exemplaire de Carrie de Stephen King lui disant que si elle
aimait ceci alors elle aimera cela ! Holly n’a rien lu d’autres que des
histoires sur des colonisateurs dans des prairies pour tout le restant de son
adolescence et me lance toujours un regard noir quand le nom de Stephen King
est mentionné.)
L'utilité de la fiction, partie 2
La deuxième chose que construit
la fiction est l’empathie. Lorsque vous regardez la télé ou un film, vous
regardez ce qui arrive à d’autres personnes. La fiction en prose est quelque
chose que vous construisez à partir de 26 lettres et une poignée de signes de
ponctuation et vous seul, en utilisant votre imagination, créez un monde, le
peuplez et regardez à travers d’autres yeux. Vous avez la possibilité de
ressentir des choses, de visiter des endroits et des mondes que vous ne
connaîtriez pas autrement. Vous apprenez que chaque personne autour de vous est
un ‘moi’ aussi. Vous devenez quelqu’un d’autre et lorsque vous revenez dans
votre propre monde, vous serez légèrement transformé.
L’empathie est un outil
permettant aux gens de s’intégrer dans un groupe, elle nous permet d’agir comme
plus que des individus égocentriques.
Alors que vous lisez, vous
trouvez aussi quelque chose de vitalement important pour faire votre propre
chemin dans le monde. Et c’est cela : le monde n’a pas à être ainsi. Les
choses peuvent changer.
J’étais en Chine en 2007 à la
première célébration d’une convention de la science-fiction et de la fantasy
autorisée par l’histoire chinoise. A un moment donné, j’ai pris un haut
fonctionnaire à part et lui ai demandé « Pourquoi ? ». La
science-fiction a longtemps été désapprouvée. Qu’est ce qui a changé ? C’est simple, m’a-t-il dit. Les
chinois étaient brillants dans la fabrication si d’autres leur apportaient les
plans. Mais ils n’innovaient pas ni n’inventaient. Alors ils ont envoyé une
délégation aux Etats-Unis, chez Apple, chez Microsoft, chez Google et ils ont
demandé après les gens qui inventaient leur propre futur. Et ils ont vu qu’ils
avaient tous lu de la science-fiction quand ils étaient petits garçons ou
petites filles.
Lire pour s'évader
La fiction peut vous montrer un
monde différent. Elle peut vous emmener quelque part où vous n’êtes jamais
allé. Une fois que vous avez visité d’autres mondes, comme ceux qui peuvent
manger des fruits féériques, vous ne pourrez jamais être pleinement satisfaits
avec le monde dans lequel vous avez grandi. L’insatisfaction est une bonne
chose : les gens insatisfaits peuvent modifier et améliorer leurs mondes,
les quitter meilleurs et différents.
Tant que nous parlons de ce
sujet, j’aimerai dire quelques mots à propos de l’évasion. J’ai entendu le
terme circuler comme si c’était une mauvaise chose. Comme si la fiction
« d’évasion/fictive » était un opiacé bon marché dont se servent les
gens à l’esprit confus, les gens idiots et les gens plein d’illusions et que la
seule fiction qui vaille la peine, pour les adultes et les enfants, est la
fiction mimétique, celle qui reflète le pire du monde dans lequel se trouve le
lecteur.
Si vous étiez piégé dans une
situation impossible, dans un endroit déplaisant avec des personnes qui vous
souhaitent du mal, et que quelqu’un vous offrait une échappatoire temporaire,
pourquoi ne l’accepteriez vous pas ? Ce n’est que cela la fiction
d’évasion : la fiction qui ouvre une porte, qui montre la lumière du
soleil, qui vous donne une place où aller où vous avez le contrôle, avec des
gens avec qui vous voulez être (et les livres sont des endroits réels, ne vous
détrompez-pas !) ; et de manière plus importante, pendant votre
évasion, les livres vous donnent aussi des connaissances sur le monde et votre
situation délicate ainsi que des armes et une armure : des choses réelles
que vous pouvez reprendre dans votre prison. Les capacités, les savoirs et les
outils que vous pouvez utiliser pour vous évader réellement.
Comme nous le rappelle JRR Tolkien,
les seules personnes qui s’insurgent contre l’évasion sont les geôliers.
L'importance des bibliothèques
Une autre façon de détruire
l’amour de la lecture d’un enfant est de faire en sorte qu’il n’y ait aucun
livre d’aucune sorte dans son environnement. De ne leur laisser aucune place
pour lire ces livres. J’ai été chanceux. J’ai grandi près d’une excellente
bibliothèque locale. J’avais le genre de parents que je pouvais persuader de me
déposer dans une bibliothèque alors qu’ils allaient travailler pendant mes
vacances d’été et le genre de bibliothécaires que ne gênait pas un petit garçon
non-accompagné qui allait chaque matin dans la section des livres pour enfant,
trouvant son chemin jusqu’au catalogue, cherchant des livres avec des fantômes
ou de la magie ou des fusées, cherchant des vampires ou des détectives ou des
sorcières ou des merveilles. Lorsque j’ai fini de lire cette section, j’ai
alors commencé les livres pour adultes. (ndlt : pas de sous-entendu
grivois à lire ici !)
Ils étaient de bons
bibliothécaires. Ils aimaient les livres et aimaient que les livres soient lus.
Ils m’ont appris comment commander d’autres livres à d’autres bibliothèques
grâce aux prêts interbibliothèques. Ils n’avaient aucun snobisme quant aux
choses que je lisais. Ils semblaient juste apprécier qu’il y ait ce petit
garçon aux yeux écarquillés qui aimait lire, ils me parlaient des livres que
j’étais en train de lire, ils me trouvaient les autres tomes des sagas, ils
m’aidaient. Ils me traitaient comme un autre lecteur, rien de plus rien de
moins, ce qui signifie qu’ils me traitaient avec respect. Je n’y étais pas
habitué du haut de mes huit ans.
Mais les bibliothèques concernent
la liberté. La liberté de lire, la liberté des idées, la liberté de
communiquer. Elles concernent l’éducation (qui n’est pas un processus se
terminant le jour où l’on quitte l’école ou l’université), le divertissement,
la construction d’endroits où l’on se sent en sécurité et l’accès à
l’information.
Je suis préoccupé de voir qu’au
21ème siècle les gens comprennent mal ce que sont les bibliothèques
et leur but. Si vous percevez une bibliothèque comme étant une étagère avec des
livres, cela peut vous sembler vieillot et démodé dans un monde où la plupart,
mais pas tous, des livres imprimés existent aussi en numériques. Mais c’est
être fondamentalement à côté de la question.
Je pense que cela a un rapport
avec la nature de l’information. L’information a de la valeur et la bonne
information a une énorme valeur. Pour toute l’histoire de l’humanité, nous
avons vécu une époque de pénurie d’information, avoir l’information nécessaire
était toujours importante et valait quelque chose : quand semer les
graines, où trouver certaines choses, les cartes, les histoires et les récits –
qui étaient toujours bons pour un repas et pour avoir de la compagnie.
L’information était une chose d’une grande valeur et ceux qui l’avaient ou
pouvaient l’obtenir avaient la possibilité de faire payer pour ce service.
Dans les dernières années, nous
sommes passés d’une économie en pénurie d’information à une économie d’excès.
Selon Eric Schmidt de Google, tous les deux jours maintenant, la race humaine
crée autant d’informations que nous le faisions à l’aube de la civilisation
jusque 2003. C’est environ cinq exobytes de données par jour, pour ceux d’entre
vous qui comptent les points. Le défi devient, non pas de trouver cette plante
rare qui pousse dans le désert mais cette plante spécifique qui pousse dans la
jungle. Nous allons avoir besoin d’aide pour trouver cette information dont
nous avons besoin.
Le rôle des bibliothèques
Les bibliothèques sont des
endroits où les gens vont pour trouver cette information. Les livres ne sont
que le sommet de l’iceberg : ils sont là et les bibliothèques peuvent vous
fournir librement et légalement avec des livres. Il y plus d’enfants que jamais
qui empruntent des livres dans les bibliothèques et des livres de tous les
genres : des livres papiers, des livres audio et des livres numériques.
Mais les bibliothèques sont aussi, par exemple, des endroits pour que les gens
qui n’auraient pas de connexion internet puissent aller en ligne sans rien
payer : c’est extrêmement important quand la seule façon de trouver du
travail, de postuler pour du travail ou pour obtenir de l’aide se trouve de
plus en plus exclusivement sur le net. Les bibliothécaires peuvent aider ces
gens à naviguer dans ce monde.
Je ne crois pas que tous les
livres vont ou devraient être adaptés à l’écran : comme Douglas Adams me
l’a un jour signalé, plus de 20 ans avant que le Kindle n’apparaisse, un livre
matériel était comme un requin. Les requins sont vieux : il y avait des
requins dans les océans avant les dinosaures. Et s’il y a encore des requins de
nos jours c’est parce que les requins sont les mieux placés pour agir comme
tel. Les livres matériels sont solides, difficiles à détruire, contre les bains, opérationnels au soleil, rendent
heureux une fois en main : ils sont bons dans leur métier de livres et il
y aura toujours une place pour eux. Ils appartiennent aux bibliothèques, tout
comme les bibliothèques sont déjà devenues des endroits où l’on peut avoir
accès aux ebooks, aux audio-livres, aux DVD et à internet.
Une bibliothèque est un entrepôt
à informations et y donne à chaque citoyen un égal accès. Cela inclus les
renseignements pour la santé physique, pour la santé mentale. C’est un espace
communautaire. C’est un endroit où règne la sécurité, une protection face au
monde. C’est un endroit avec des bibliothécaires. Ce à quoi ressembleront les
bibliothèques dans le futur est quelque chose que nous devrions déjà imaginer.
L’alphabétisation est plus
importante que jamais, dans ce monde de sms et d’emails, ce monde où
l’information est écrite. Nous avons besoin de lire et d’écrire, nous avons
besoin de citoyens qui savent lire aisément, qui comprennent ce qu’ils lisent
et la nuance et qui savent se faire comprendre.
Les bibliothèques sont réellement
les portes du futur. C’est donc malheureux de voir qu’un peu partout dans le
monde, les autorités saisissent la moindre opportunité pour fermer des
bibliothèques et économiser facilement de l’argent, sans réaliser qu’ils volent
le futur pour payer les dettes aujourd’hui. Ils ferment des portes qui
devraient être ouvertes.
Selon une étude récente par
l’Organisation Economic Cooperation and Development, l’Angleterre est le
« seul pays où le groupe le plus âgé a une plus grande maîtrise à la fois
de l’alphabétisation et de l’arithmétique que le groupe plus jeune, après que
d’autres facteurs tels que le genre, l’arrière-plan socio-économique et les
différents types de métiers aient été pris en compte ».
Or, pour en parler différemment,
nos enfants et nos grands-parents sont moins lettrés et forts en arithmétique
nous ne le sommes. Ils sont moins capables de naviguer dans le monde, de le
comprendre pour résoudre ses problèmes. On peut leur mentir et les induire en
erreur plus facilement, ils seront moins capables de changer le monde dans
lequel ils se sont trouvés, ils seront moins aptes au travail. Tout cela à la
fois. Et en tant que pays, l’Angleterre tombera derrière les autres nations développées
puisqu’elle manquera d’une main d’œuvre compétente.
Les devoirs des lecteurs, des auteurs et de tous les citoyens
Les livres sont un moyen de
communication avec les morts. Ils sont la façon dont on apprend les leçons de
ceux qui ne sont plus avec nous, dont l’humanité s’est construite, a progressé,
a rendu croissante la connaissance plutôt que quelque chose que l’on doit
réapprendre encore et encore. Il y a des contes qui sont plus vieux que
certains pays, des contes qui ont survécu à certaines cultures et aux bâtiments
dans lesquels ils ont d’abord été racontés.
Je crois que nous avons des
responsabilités envers le futur, des responsabilités et des obligations envers
les enfants, envers les adultes qu’ils deviendront, envers le monde dans lequel
ils habiteront. Chacun d’entre nous, en tant que lecteurs, écrivains et
citoyens, a des obligations. J’ai pensé que je pourrais essayer de donner
quelques uns de ces devoirs.
Je pense que nous avons le devoir
de lire pour le plaisir, dans des endroits privés et publiques. Si nous lisons
pour le plaisir, si d’autres nous voient lire, alors nous apprenons, nous
exerçons notre imagination. Nous montrons aux autres que lire est une bonne
chose.
Nous avons le devoir de soutenir
les bibliothèques, de nous en servir, d’encourager les autres à s’en servir, de
protester contre leurs fermetures. Si vous n’accordez pas d’importance aux
bibliothèques, c’est que vous n’accordez pas d’importance à l’information à la
culture ou à la sagesse. Vous réduisez au silence les voix du passé et vous
endommagez le futur.
Nous avons le devoir de lire à
voix haute à nos enfants, de leur lire des choses qu’ils aiment, de leur lire
des histoires que nous sommes fatigués d’entendre, de faire les voix, de rendre
la lecture intéressante et de ne pas arrêter de leur lire des histoires parce
qu’ils ont eux-mêmes appris à lire. Utilisez ce temps de lecture à voix haute
pour créer des liens, un temps où les téléphones ne sont pas consultés, où
toutes les distractions offertes par le monde sont mises de côté.
Nous avons le devoir d’utiliser
le langage. Nous avons le devoir de nous pousser à trouver ce que les mots
signifient et comment les utiliser, à communiquer clairement, à dire ce que
l’on veut dire. Nous ne devons pas essayer de figer le langage ou prétendre que
c’est une chose morte qui doit être vénéré mais nous devrions l’utiliser comme
quelque chose de vivant, qui fluctue, qui emprunte des mots, qui autorisent les
sens et les prononciations à se transformer avec le temps.
Nous écrivains, et pas seulement
les écrivains pour enfants, mais tous les écrivains, avons un devoir envers nos
lecteurs : il s’agit d’écrire des choses vraies, ce qui est d’autant plus
important lorsque nous créons des contes sur des gens qui n’existent pas dans
des lieux qui n’ont jamais existé. La fiction est le mensonge qui donne la
vérité après tout. Nous avons le devoir de ne pas ennuyer nos lecteurs mais de
les faire tourner les pages. L’un des meilleurs remèdes pour un lecteur
réticent après tout est un conte qu’ils ne peuvent pas s’arrêter de lire. Alors
que nous devons dire des choses vraies à nos lecteurs, leur donner des armes et
une armure et leur passer une quelconque sagesse que nous avons glanée grâce à
notre court séjour dans ce monde vert, nous avons le devoir de ne pas sermonner
ni de faire la leçon, ni de leur imposer dans leurs esprits des morales
préconçues comme des oiseaux nourrissant leurs bébés de vers prémâchés ; et
nous avons le devoir de ne jamais, jamais, sous aucune circonstance, écrire
quelque chose pour les enfants que nous ne voudrions pas lire.
Nous avons le devoir de
comprendre et de reconnaître en tant qu’auteurs pour enfants que nous faisons
un important travail, parce que si nous le gâchons et écrivons des livres
ennuyeux qui détournent les enfants de la lecture et des livres, nous aurons
diminué notre propre futur ainsi que le leur.
Nous tous – enfants et adultes,
auteurs et lecteurs – avons le devoir de rêver. Nous avons le devoir
d’imaginer. Il est aisé de prétendre que personne ne peut rien changer, que
nous sommes dans un monde dans lequel la société est énorme et que l’individu
est mieux que rien : un atome dans un mur, un grain de riz dans une
rizière. Mais la vérité est que chaque individu change son propre monde encore
et encore, chaque individu forge le futur et ils le font en imaginant que les
choses peuvent être différentes.
Regardez autour de vous,
j’insiste. Arrêtez-vous un moment et regardez la pièce dans laquelle vous êtes.
Je vais souligner des choses évidentes qui tendent à être oubliées. Les
voici : chaque chose que vous voyez, même les murs, a été, à un moment,
imaginée. Quelqu’un a décidé qu’il serait plus facile de s’asseoir sur une
chaise plutôt que par terre et a imaginé la chaise. Quelqu’un a imaginé un
moyen pour que je puisse vous parler à Londres, là maintenant sans qu’aucun
d’entre nous ne soit gêné par la pluie. Cette pièce et ce qu’elle contient et
toutes les choses que ce bâtiment contient, que cette ville contient, existent
parce que des gens imaginent des choses, encore et encore et encore.
Nous avons pour obligation de
rendre les choses belles, de pas quitter le monde plus laid que lorsque nous
l’avons trouvé, de ne pas vider les océans, de ne pas laisser nos problèmes à
la prochaine génération. Nous avons le devoir de nettoyer derrière nous et de
ne pas laisser nos enfants avec un monde que nous avons aveuglément gâché,
floué, estropié.
Nous avons le devoir de dire à
nos politiciens ce que nous voulons, de voter contre les politiques de
n’importe quel parti qui ne comprend pas la valeur de la lecture dans la
formation de citoyens qui en valent la peine, qui ne veut pas agir pour
préserver et protéger le savoir et encourager l’alphabétisme. Ce n’est pas le
problème des partis politiques. C’est le problème de l’humanité commune.
Conclusion
Il a été demandé une fois à
Albert Einstein comment nous pouvons rendre nos enfants intelligents. Sa
réponse fut à la fois simple et sage : « Si vous voulez que vos
enfants soient intelligents, lisez-leur des contes de fées. Si vous voulez que
vos enfants soient encore plus intelligents, lisez-leur encore plus de contes
de fées ». Il comprenait la valeur de la lecture et de l’imagination.
J’espère que nous pouvons donner à nos enfants un monde dans lequel ils liront,
dans lequel on leur lira des histoires, dans lequel ils imagineront et comprendront.
Version éditée de la conférence
faite par Neil Gaiman pour la Reading Agency, lundi 14 octobre 2013 au Barbican
Theatre à Londres.
Ca c'est un bon argumentaire pour les bibliothèques et la lecture!
RépondreSupprimerJe suis déjà convaincue que lire est une bonne chose pour tout le monde, mais maintenant y a les arguments.
Merci pour cette traduction, tu as fait un excellent boulot :)
Merci Titi :D
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